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Le traducteur en tant qu’entité cognitive

Selon les théories «classiques», le traducteur n’est qu’un passeur de sens, un intermédiaire, intervenant dans le cadre d’un acte de communication par écrit entre personnes allophones. Ces dernières années, grâce aux progrès de la psychologie cognitive et de la collaboration entre traductologues et cognitivistes, s’est formé progressivement en Traductologie un courant qui aborde le traducteur non seulement comme un passeur de sens, mais aussi comme une entité cognitive, c’est-à-dire un être humain qui met ses facultés cognitives au service de la communication multilingue.


Cette approche a enrichi la pensée traductologique en tentant de dévoiler des aspects jusqu’ici «cachés» ou «obscurs» du sujet traducteur lorsqu’il traduit, allant de ce qu’il extériorise lorsqu’on lui demande de verbaliser sa pensée à ce qui se passe dans son cerveau, dans son âme. Ainsi, les premières tentatives ont visé à comprendre ce qui se passe dans la tête du sujet traducteur en appliquant des méthodes de la psychologie cognitive, telles que la méthode du Think Aloud Protocol (TAP) et plus tard des méthodes plus «sophistiquées», comme celle appliquée lors d’une expérimentation réalisée par Alexandra Kosma à l’Université de Caen (1), qui a permis l’étude du fonctionnement spécifique de la mémoire de travail lors de l’opération traduisante en utilisant comme référence de base le modèle de la mémoire de travail proposé par Baddeley et comme outil principal un système d’eye-tracking (2).

Dans cette courte note, nous nous limiterons à une présentation très schématique du fonctionnement, selon approche cognitiviste, du système mnésique lors de l’acte de traduction. En effet, le système mnésique du traducteur joue un rôle primordial lors du traitement des informations contenues dans le texte à traduire. Lors de la lecture du texte à traduire le système oculaire du traducteur capte les informations exposées sur le papier ou sur l’écran, qui passent alors par le «registre sensoriel» dans son système mnésique, où elles font l’objet d’un traitement spécifique. Une fois dans le système mnésique, ces informations sont traitées dans la mémoire de travail, un sous-système mnésique qui joue un rôle fondamental, en vue de produire la traduction de ce passage. 

La pièce maîtresse de ce sous-système est, selon Baddeley, l’«administrateur central» qui est responsable de la gestion de toutes ces informations. Pour la réalisation de la traduction d’un passage, la mémoire de travail fait appel aux informations issues du texte à traduire et à celles déjà stockées dans la mémoire à long terme (3). Ces dernières peuvent être de nature linguistique mais aussi de nature procédurale, fruit de l’entraînement, de l’expérience, voire de l’expertise du traducteur. Si celles-ci sont insuffisantes pour la production de la traduction demandée, le traducteur fait appel à des informations extrinsèques, issues d’une recherche terminologique ou documentaire, voire de la consultation d’experts.

La réalisation de ce traitement suppose la mobilisation de plusieurs ressources cognitives du sujet traducteur, car il s’agit d’un processus qui requiert une multitude de prises de décisions, en fonction des éléments contenus explicitement ou implicitement dans le texte à traduire, de la situation de communication dans laquelle s’insère l’acte traductionnel, du bagage cognitif du traducteur, etc. Parfois ces décisions sont également influencées par la réaction émotive du traducteur provoquée par la lecture du texte à traduire (5). Ce genre de réactions ne se limitent pas aux textes littéraires, mais peuvent également se manifester lors de la traduction d’autres types de textes à forte connotation émotive.

Plusieurs travaux ont été consacrés aux différents types de lecteurs et de lectures lors de l’acte de traduction. Chaque traducteur, en fonction de son bagage cognitif, de son expérience spécifique et de son état physique et émotionnel adopte des stratégies de lecture différentes, qui dépendent des fonctions que cette lecture doit accomplir. Freddie Plassard, dans son ouvrage Lire pour traduire (6), met en exergue les différents types de lectures adoptées par le traducteur, selon qu’il lit pour comprendre ou pour analyser le texte à traduire, pour consulter des sources de documentation, pour vérifier sa traduction, etc.

Les recherches se poursuivent soit en approfondissant des domaines en cours d’étude, soit en explorant des domaines nouveaux faisant appel à des disciplines jusqu’ici peu exploitées par la Traductologie, comme les neurosciences. Dans le cas de ces dernières, nous en sommes au tout début, mais (et?) personne ne peut prédire l’avenir…

Written by Michel Politis, Associate Professor. He has been teaching since 1988 at the Department of Foreign Languages, Translation and Interpreting of the Ionian University. His expertise lies in the areas of political and legal and economic translation, as well as cognition and translation. From 2000 to 2003 and from 2006 till nowadays he is the director of the Laboratory for Legal, Economic, Political and Technical Translation of the Ionian University. From 2003 to 2010 he was the director of the joint master in Sciences de la Traduction – Traductologie et Sciences cognitive (collaboration between the Ionian University and the University of Caen Basse-Normandie, France). For his contribution to the advancement of the academic cooperation between Greece and France he was awarded in 2003 the Academic Palms (Knight) by the President of France and in 2014 the Academic Palms (Officer). He has published widely on specialized translation and he has also guest-edited an issue of META on cognition and translation.
Post edited by  Katerina PalamiotiTranslator, Social Media and Content Manager, Communication Trainee and Foodie at the Terminology Coordination Unit of the European Parliament.
Sources:
  • (1) Dans le cadre du master conjoint « Sciences de la Traduction – Traductologie et Sciences cognitives» (collaboration de l’Université de Caen et de l’Université ionienne).
  • (2) Kosma Alexandra (2007) « Le fonctionnement spécifique de la mémoire de travail en traduction » META, vol. 52-1, Montréal, Presses de l’Université de Montréal
  • (3) Petit Laurent (2006) La mémoire, Collection « Que sais-je ? », n° 350, Paris, Presses Universitaires de France
  • (4) Politis Michel (2007) «L’apport de la psychologie cognitive à la didactique de la traduction», META, vol. 52-1, Montréal, Presses de l’Université de Montréal
  • (5) Durieux Christine (2007) « L’opération traduisante entre raison et émotion », META, vol. 52-1, Montréal, Presses de l’Université de Montréal
  • (6) Plassard Freddie (2007) Lire pour traduire, Paris, Les Presses de la Sorbonne Nouvelle

Traduire n'est pas trahir, mais négocier

Pour parler de la traduction, c’est sur ce terrain de l’expérience et de ses propres expériences que s’installe Umberto Eco, dans son ouvrage Dire presque la même chose dont la traduction française est parue à l’automne dernier. Il nous prévient dès les premières pages : ce n’est pas un livre de théorie de la traduction. Mais plutôt un passage en revue des problèmes que pose la traduction et des problèmes qui se posent à un traducteur, à partir d’un nombre considérable d’exemples. L’ennui des ouvrages théoriques, en effet, c’est qu’ils manquent souvent d’illustrations. Il s’agit donc, pour Eco, de partir d’extraits tirés de la Bible, de Dante, de Shakespeare, de Gérard de Nerval, de Baudelaire, de Joyce, et de lui-même, entre autres, et de comparer les traductions : comprendre, pour tel mot, telle phrase, tel passage, les choix opérés par les traducteurs, ce qu’ils y perdent, ce qu’ils y gagnent à traduire de telle ou telle façon. Umberto Eco fait pénétrer le lecteur dans l’intimité et la cuisine d’un traducteur. C’est tout à fait impressionnant d’érudition, et de finesse d’analyses. Eco sait de quoi il parle : il s’appuie ici sur sa triple expérience d’éditeur, d’auteur traduit et de traducteur.

Le but de l’ouvrage est clairement posé dans l’introduction : "tenter de comprendre comment, tout en sachant qu’on ne dit jamais la même chose, on peut dire presque la même chose."  L’enjeu, c’est ce "presque". On ne parvient jamais à transmettre toutes les connotations d’un mot, le rythme et la sonorité d’une expression ou d’une phrase, les jeux de mots. Eco rappelle le célèbre exemple de Jakobson à propos du slogan "I like Ike", lors de la campagne présidentielle d’Eisenhower. Au niveau du contenu, on pourrait bien sûr traduire par "Io amo Ike", "J’aime bien Ike", ou le paraphraser en "I appreciate Eisenhower". Mais personne ne dirait qu’il s’agit de traductions appropriées de l’original, lequel tire sa force des suggestions phoniques, de la rime, etc. 

C’est pourquoi le traducteur négocie en permanence. Eco développe cette comparaison tout au long de l’ouvrage. Négocier, cela implique d’évaluer les pertes et les compensations, de distinguer les pertes absolues – les cas où il est impossible de traduire –  des pertes par accord entre les parties. Lorsqu’il n’y a pas de synonyme exact d’un mot dans la langue de traduction (et c’est le cas le plus souvent), le traducteur négocie les propriétés du mot original qui lui paraissent pertinentes – par rapport au contexte et aux objectifs que le texte s’était fixés. Traduire signifie en ce sens "raboter"  quelques-unes des conséquences que le terme original impliquait. Pour Eco, il n’y a pas de règle, les solutions doivent être négociées dans chaque cas, en fonction des possibilités, mais aussi en fonction de l’interprétation que le traducteur a faite de ce passage en particulier et de l’œuvre en général, de ses propres choix initiaux.


"Traduire de culture à culture"

Umberto Eco rappelle à ce propos la façon dont ce problème avait été posé par des auteurs du XIXe comme Humboldt et Schleiermacher  : "une traduction doit-elle amener le lecteur à comprendre l’univers linguistique et culturel du texte source, ou doit-elle transformer le texte original pour le rendre acceptable au lecteur de la langue et de la culture de destination ?"  Eco passe assez rapidement sur ces enjeux disons éthiques et politiques de la traduction, sur la tentation ethnocentrique de certaines traductions. 

Mais il y a un risque. Ce serait de conclure que la traduction est impossible, par principe, si les langues sont incommensurables, si chacune exprime une vision du monde propre. Peut-on vraiment comprendre ce qui appartient à une culture étrangère, et donc traduire ? À cela, Eco répond de manière ferme : si chaque langue est singulière, on peut néanmoins les comparer, comparer l’usage des termes, mettre au jour les différences et les convergences. La traduction est une négociation, car elle est en même temps un dialogue entre la culture de l’auteur, et celle du lecteur.



Qu’est-ce alors qu’une bonne traduction ?

Tout cela étant posé, il reste à savoir quand une traduction est réussie. Le souci d’un traducteur, répond Eco, est dans ces conditions de provoquer un effet identique à celui que le texte, dans sa langue d’origine, voulait provoquer chez le lecteur. Non pas dire la même chose, c’est impossible ; mais reproduire le même effet. Et cela suppose tout le travail d’interprétation du traducteur. C’est pourquoi une bonne traduction est toujours, aussi, une contribution critique à la compréhension de l’œuvre. C’est à partir de là qu’on peut redonner sens à l’exigence de fidélité. "La fidélité est la conviction que la traduction est toujours possible si le texte source a été interprété avec une complicité passionnée, c’est l’engagement à identifier ce qu’est pour nous le sens profond du texte, et l’aptitude à négocier à chaque instant la solution qui nous semble la plus juste."